14 juillet 2021 à Landrecies : Hommage aux combattants de mai-juin 1940 morts à Landrecies dont le commandant Pierre Grenet au retour d'une mission de bombardement le 18 mai 1940

Table du souvenir

 

 

 


 

 

 

On a évalué le nombre de bombardiers allemands intervenants pendant la bataille de France à 1 500 dont 350 Stukas. En face sur les 169 bombardiers français de tous types théoriquement disponibles, 65 étaient réellement prêts à entrer en action. Il faut y ajouter 195 bombardiers de la Royal Air Force envoyés par l’Angleterre pour s’engager dans la bataille de France et quelques avions belges et hollandais.

Le 10 mai 1940, l’aviation d’assaut française ne comptait qu’une vingtaine de Breguet 693 en état de voler en mission de guerre sur les 400 commandés, ceux du I/54 et du II/54. Le lion d’assaut Breguet 693 qui préfigurait les futurs chasseurs bombardiers multi-tâches, capables d’affronter la chasse ennemie et de lancer des attaques sur des cibles au sol en vol rasant en était à ses balbutiements. La carlingue était peu protégée, par manque de blindage. Il ne pouvait affronter seul des chasseurs ennemis. Il a connu beaucoup d’accidents lors des entraînements à cause de la faiblesse de son train d’atterrissage pour sa vitesse de 180 kilomètres/heure au moment où il touche le sol. Les hommes sélectionnés pour ce groupement d’aviation d’assaut devaient avoir moins de 35 ans et peser moins de 85 kilos tout équipés.

Le commandant Pierre Grenet en sortant de Saint Cyr avait d’abord servi dans l’aviation d’observation. Il était détenteur de la coupe Military Zénith de 1932 pour un raid d’observation alors qu’il était capitaine de la troisième escadrille d’observation de la 33e escadre dans laquelle Saint-Exupéry a servi en 1940. En 1936, il avait été appelé à l’Etat-major pour réorganiser les écoles d’aviation. Marié à une jeune femme autrichienne de confession juive, il a voulu se porter en première ligne en prenant le commandement d’une unité de bombardement d’assaut équipée de Breguet 693. Il pilotait et était à 35 ans le plus jeune Commandant d’une unité de bombardement.

Le 12 mai, la première mission de bombardement en vol rasant des colonnes ennemies a fait, par surprise, de gros dégâts sur les véhicules ennemis, mais sur les douze avions du I/54 qui ont attaqué dans l’alignement de la route, seuls deux sont revenus à la base. Dix avions ont été abattus, leurs équipages sont morts ou ont été faits prisonniers comme le Commandant Plou du I/54. Au II/54 le Commandant Grenet a pu ramener 5 équipages sur les 7 en menant des attaques perpendiculaires à la route des convois. Le 14 mai, une grande partie du sort de la guerre s’est décidée autour du pont de bateaux de Gaulier devant lequel s’étaient massés les 1 000 panzers de Guderian qui allaient effectuer la percée de Sedan. Le Commandant Grenet était prêt, avec ses équipages et les survivants du I/54 qui les avaient rejoints, à aller bombarder cette cible jugée prioritaire par le général Billotte qui commandait le front allié depuis l’extrémité Ouest de la Ligne Maginot jusqu’à la mer. Ils ont été détournés au dernier moment par un contre ordre du général Huntzinger qui a prétendu mener une contre-offensive terrestre. En fait, cette dernière n’a jamais été lancée et les 1000 panzers ont pu traverser la Meuse sur le pont de bateaux. Seuls quelques-uns ont été détruits par tous les bombardiers français et anglais réquisitionnés ce jour-là, mais le pont est resté opérationnel.

Journal de marche du GB II/54

Le 18 mai, depuis la base de Briare, le Commandant Grenet s’est élancé à la tête de 4 sections de deux avions venant du I et II/54 et du II/35. Les Breguet 691 du II/35 étaient engagés alors qu’il était prévu de ne les utiliser que pour l’entraînement. Il était alors le seul commandant disponible dans les unités de bombardement d’assaut à avoir volé en mission de guerre. Les Généraux décidèrent que les bombes devraient être lâchées à 900 mètres d’altitude sur les convois allemands en mouvement sur la route Le Cateau-Cambrésis/Landrecies/Avesnes-sur-Helpe. Ils ont piqué plein Nord jusqu’à 15 kilomètres de Cambrai. C’est à l’Est de ce secteur que les renseignements avaient localisé l’avancée des troupes ennemies.

Avant le décollage, le Commandant a mis en garde ses pilotes et en particulier ceux qui volaient pour la première fois en mission de guerre sur l’incroyable imbroglio qu’ils allaient trouver. Les convois allemands étaient souvent difficilement discernables, n’arboraient pas des couleurs remarquables, surtout depuis 900 mètres d’altitude et des contre-offensives françaises étaient prévues entre Le Cateau-Cambrésis et Avesnes/Helpe sur leurs zones cibles de bombardement. Alors il leur a dit : « c’est moi qui donnerait le signal pour le lâcher de bombes uniquement quand je serai sûr de pouvoir frapper avec certitude les forces ennemies, vous me suivrez à distance et enchaînerez le travail séparément par section de deux avions. » Pas de chasse de protection. Les Morane n’étaient pas assez rapides pour suivre les Breguet et donc les protéger efficacement et de plus, les chasseurs avaient de multiples autres missions à assurer ce jour-là autour des terrains d’aviation, des gares et des transports de troupes contre les bombardiers lourds allemands Dornier 17 et Heinkel 111 et leurs chasseurs de protection, essentiellement des Messerschmitt 109 et 110. Ce 18 mai 1940, la chasse française a obtenu 24 victoires sûres et 12 probables et n’a subi que 19 pertes.
La zone autour de la ville du Cateau-Cambrésis était le premier objectif de la journée. En scrutant en bas le paysage composé de vastes champs de blés sans haies de bocages pour les séparer, guettant l’apparition des deux tours du Cateau-Cambrésis de hauteur équivalente, celle du beffroi et celle du clocher de l’église, le Commandant Grenet aperçut tout à coup de larges tranchées qui avaient saccagé les blés. Elles marquaient le passage de dizaines de chars. Rommel était passé quelques heures auparavant en fonçant sur Cambrai. Restaient aussi des débris mécaniques, résidus de la ruée de blindés ayant foncé dans les champs libres de tous obstacles pour éviter les routes envahies par un enchevêtrement de véhicules militaires et de réfugiés. Et puis, apparurent en même temps au loin, le clocher, le beffroi et la marée humaine fuyant vers Cambrai à l’Ouest et surtout vers Saint-Quentin au Sud. Des incendies illuminaient la ville et il régnait une telle confusion qu’il était inimaginable de lâcher les bombes à l’aveugle sur cette foule d’habitants et de réfugiés fuyant les combats. De plus il ne pouvait pas exclure qu’une partie de la ville fût encore aux mains des troupes françaises. L’idéal aurait été de tomber sur une chevauchée de panzers en plein champ à l’écart des villes et des colonnes de réfugiés, comme celle qui avait laissé les traces qu’ils venaient de survoler. À défaut, il cherchait un convoi allemand bien identifié sur une route où, si les réfugiés étaient présents, ils fussent espacés et le plus possible à distance de ceux qui les terrorisaient et donc en petit nombre au moment des explosions des bombes lâchées par ses Breguet.

Il laissa donc Le Cateau-Cambrésis à son misérable sort et continua plein Est vers Landrecies. Il vit d’abord une colonne de réfugiés traînant tous leurs biens couverts par des matelas pour se protéger des projectiles formant un long cordon hybride humain et mécanique qui ressemblait, vu des airs, à un seul animal géant et monstrueux. Il scruta la route en avant à la recherche des Panzers et des canons antiaériens de la flak mobile montés sur des camions et intercalés régulièrement entre les blindés. Ce dispositif si dangereux pour ses avions était inexistant dans les unités françaises. Et le convoi finit par apparaître. Ça y est, après quelques kilomètres et quelques secondes de vol, il tenait sa cible. Pas de doute, il fallait y aller. Il amorça un léger décrochage et un petit battement d’ailes pour avertir du début des opérations les autres équipages et il opéra une boucle pour ne pas rester dans l’axe de la route et revenir par une transversale sur sa cible. Les autres équipages savaient qu’ils devaient se disperser et attaquer en corsaires deux par deux. Quand le Commandant survola les premiers blindés, il lâcha une, puis deux bombes de 50 kilos qui déclenchèrent des explosions dévastatrices. Les autres avions, par vagues successives, firent de même, causant de sérieux dégâts aux agresseurs mais provoquant aussi la mort des réfugiés qui n’avaient pas eu le temps de courir se protéger à l’écart de la route. Le Commandant serra les dents et continua vers Landrecies où était prévue une attaque de chars français. Vers 18 h 30, il vit des combats de blindés imbriquant tellement les deux forces ennemies dans le centre de la ville que cela interdisait tout bombardement. Il poursuivit son vol pour trouver une situation plus claire sur la route qui menait à Avesnes-sur-Helpe. Effectivement à la sortie de Maroilles, une cinquantaine de panzers et leur flak de protection se profilaient dans le collimateur de la cabine avant du pilote. Il décida qu’il valait mieux lâcher le reste des bombes sur cette colonne, n’étant pas sûr de retrouver plus loin un aussi bon objectif. Ne pouvant communiquer par radio avec les autres avions de la formation, il avait convenu d’effectuer un bref piqué de 100 mètres pour signaler à tous les pilotes évoluant derrière lui de vider le reste de leurs chargements de bombes sur la cible désignée dans son axe de vol. L’opération était effectuée avec succès et cette fois la colonne de réfugiés était très clairsemée et quasiment inexistante à côté des panzers. Aucun Breguet n’ayant été gravement touché par les tirs ennemis, le Commandant effectua un demi-tour complet pour s’engager sur la route du retour. Trop tôt pour faire un bilan, mais la tension se relâcha et il eut le sentiment d’avoir accompli l’essentiel de sa mission.

Cette fois le Commandant dérogea à la règle de ne pas revenir sur le théâtre d’opérations. Ne connaissant pas le niveau exact de l’avancée des Allemands dans la région, il préféra prendre plein Ouest, en sens inverse de la route effectuée quelques instants avant plutôt que de couper par le Sud en survolant jusqu’à Soissons un secteur occupé massivement par les Allemands et leurs murs de défense anti-aérienne. Il se décala légèrement des axes routiers où pouvaient être concentrés les Flaks tueuses d’avions. Il parvint à se faire une idée des destructions qu’ils avaient opérées lors de leur passage. Et tout à coup, à l’Ouest de Landrecies, un premier projectile atteignit le Breguet, le moteur droit était en feu. Pierre amorça une descente pour tenter un atterrissage de fortune. Par le laryngophone, il dit au Sergent-Chef Bouveret. « Tenez-vous prêt à sauter si nécessaire ! » Tout alla très vite et à 700 mètres d’altitude, un obus vint percuter le Breguet au milieu de la carlingue. La structure de l’avion céda. Il fut coupé en deux. La queue où se trouvait le Sergent Bouveret tomba en engouffrant l’air par le trou béant situé derrière le siège du mitrailleur. Ayant son parachute fixé sur les épaules, il parvint à se dégager et il se laissa plonger dans le vide, son parachute s’ouvrit et il descendit lentement vers le sol où il était attendu par les Allemands qui le firent prisonnier. Pendant ce temps, le Commandant était dans la cabine de pilotage de l’avion en perdition descendant en piqué vers la terre ferme. Pour piloter plus à l’aise, il n’avait pas son parachute sur le dos et il était plaqué par la vitesse à son siège. Il ne pouvait pas bouger. Impossible de se lever, de mettre le parachute sur ses épaules, de traverser la soute des bombes pour rejoindre la carlingue déchirée et se lancer dans le vide.

Quelques secondes plus tard, il s’écrasa dans un champ à côté du bourg de Happegarbes. Il mourut instantanément dans l’explosion de l’avant du Breguet venu se ficher dans le sol. A l’arrière de la formation un équipage du II/35 fut pris à partie par un Messerschmitt. Malgré la défense du mitrailleur qui tira sur l’avion ennemi, le Breguet 691 fut abattu, l’équipage indemne sauta en parachute et fut fait prisonnier par les Allemands.

Parmi les 16 hommes ayant participé à la mission du 18 Mai, le seul mort à déplorer pour l’Armée de l’air française était celle du Commandant Pierre Grenet. Les journaux parus le 18 mai comme Paris Soir ont tous repris la déclaration du Général en chef de l’armée française, Maurice Gamelin. « Vaincre ou mourir, il faut choisir, il faut vaincre. » Pour la dernière fois, Pierre avait partiellement désobéi à sa hiérarchie militaire. Ce même 18 mai 1940,

Pétain arriva à Paris en provenance de Madrid et Hendaye par le train, « puerta del sol », à 8 heures à la gare d’Austerlitz à Paris. Paul Reynaud le nomma par décret Ministre d’État et Vice-Premier Ministre. C’était la première marche de sa prise de pouvoir totale en France.

Pendant de longs mois, Pierre Grenet a été le « disparu » du 18 mai 1940 entre ciel et terre. Et comme pour tous les disparus, son deuil a été très difficile à faire pour ses proches. L’année suivante, le Ministère de l’air a été informé par la Mairie de Landrecies que le corps d’un pilote non identifié dont l’avion s’était écrasé à Happegarbes le 18 mai 1940 avait été transféré au cimetière communal de Landrecies le 31 janvier 1941. Cette information a été rapprochée du plan de vol du Commandant Grenet le 18 mai 1940 et du témoignage de son mitrailleur, le Sergent Bouveret. Le corps inhumé à Landrecies pouvant être celui du Commandant Pierre Grenet, Germaine L’herbier, l’infirmière, directrice du service des recherches des morts et disparus de l’armée de l’air a été chargée d’enquêter sur place et de le confirmer.

Germaine L’herbier a parcouru, à la recherche des 371 aviateurs portés disparus en mai juin 1940, des milliers de kilomètres sur tous les territoires encore occupés par l’armée allemande. Elle est allée à Landrecies pour effectuer, comme toujours, une enquête complète pour identifier avec certitude le pilote enterré au cimetière. Elle a recueilli les témoignages des habitants de Happegarbes présents sur la route d’Avesnes le 18 mai 1940 à environ 40 mètres du point d’impact de l’avion. Ils lui ont dit que vers 19 heures, ils ont vu dans le ciel au-dessus d’eux un avion en feu coupé en deux par une explosion et un corps éjecté de la partie arrière de la carlingue. Un parachute s’était ouvert et avait été emporté par le vent derrière un bois dissimulant son arrivée au sol. Ils ont entendu des coups de feu tirés en direction du parachuté. Ils n’ont pas su ce qu’il était devenu. Les Allemands étaient positionnés autour de la batterie de DCA qui avait dû abattre l’avion et leur interdisaient toutes approches. Les témoins avaient observé le trajet de la partie avant de l’avion en feu tombée comme une pierre transformée en obus à quelques mètres des Allemands qui avaient quitté précipitamment leur poste pour lui échapper. Les Allemands bloquèrent les accès au champ où l’incendie de l’avion achevait de consumer le corps du pilote. Plus tard, après que le feu eût fait son oeuvre et se fût éteint, les Allemands laissèrent les habitants recueillir les restes du pilote et quelques affaires personnelles. Le cadavre complètement carbonisé et méconnaissable a été enterré sur place dans la terre du champ de Monsieur et Madame Bénit. Odette Bénit, leur fille de huit ans venait régulièrement fleurir la tombe du bonhomme, l’aviateur inconnu. Grâce au travail de Germaine L’herbier, le corps de l’aviateur inconnu de Landrecies a été identifié comme celui du Commandant Pierre Grenet. Il repose désormais au Père Lachaise. Non, le ciel n’était pas vide durant la bataille de France en mai 40, comme certains l’ont prétendu sans reconnaître les combats héroïques de certains aviateurs français.

Récit complet dans "Affaires d'honneur". La prise de pouvoir par les fascistes français en huit jours de mai 1940.
 

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