En Juillet 1998, France Télécom lança son moteur de recherche Voila.fr. Google n’existait pas encore. C’est seulement en septembre 1998 que Google Inc fut créé. Aujourd’hui, Voila.fr est devenu une plate-forme pour l'événementiel digital et Orange a abandonné son moteur développé en interne et propose une barre de recherche Google depuis l’année dernière sur son portail Orange.fr. Pourtant la situation de monopole mondial (Chine exceptée) pour Google ne devrait pas être indépassable !

 En 2018, écrivant une fiction, j’avais besoin de retrouver une information sur le moteur de recherche Voila et quoi de mieux que l’Internet et son formidable livre ouvert de milliards de pages pour faire une recherche documentaire ? Pourtant, j’ai vite déchanté en googlisant « moteur Voila », les pages proposées en liste réponses étaient bien pauvres. A plusieurs reprises, en évoquant Voila dans différentes circonstances j’avais constaté que dans la mémoire collective, quel que soit l’âge des interlocuteurs, l’épisode Voila.fr ne s’était jamais inscrit ou avait été effacé.

Intervention en 2014 dans l'émission de France Culture "Google est il un projet politique ?" dans le bonus Intervention du public enregistrée à Sciences po à la suite de la table ronde avec Laurent Alexandre, Dominique Boullier et Dominique Cardon. 

 

Pour certains, le problème est la pérennité des informations sur l’Internet et il a fallu organiser le droit à l’oubli pour qu’une déclaration, une position, une histoire ne restent pas visibles pour l’éternité attachés à son auteur. Mais, il faut être conscient que l’Internet est un média éphémère, que beaucoup de pages web ont été créées sur des sites à durée de vie limitée et qu’elles peuvent rapidement devenir inaccessibles. Rien ne remplace le travail d’un rédacteur qui essaye de retracer un parcours pour proposer des jalons et des références et permettre des analyses critiques pour enclencher de nouvelles expérimentations et innovations tenant compte des leçons du passé.

 

Internet de France Télécom dans le cadre du service public.

 

Et 2018, c’est vingt ans après 1998, l’année de la victoire de l’équipe de France au mondial de football, cinquante ans après mai 1968.

François Fillon, aujourd'hui disparu de la vie politique et habitué aux remarques à l'emporte-pièce a dit pendant la campagne de 2017 : « Vous pensez qu’il y aurait de l’Internet en France si on avait toujours France Télécom avec des fonctionnaires ? »

C'était une contre vérité et marquait son acharnement à dénigrer le service public puisque Wanadoo, le fournisseur d’accès à l’Internet de France Télécom proposait ses services dès mai 1996 et le portail d’annuaires sur Internet pageszoom.com avait été lancé en avril 1997 avec les Pages Jaunes, les Pages Blanches et déjà un moteur de recherche baptisé Pages Web qui indexait 4 millions de pages web françaises.

 

La privatisation partielle de France Télécom était postérieure. Son capital avait été ouvert et 20 % de ses actions avaient été mises sur le marché en septembre 1997. Ses services Internet ont été bien lancés dans le cadre du service public de France Télécom, entreprise encore à 100% détenue par l’Etat et dont les salariés bénéficiaient encore à 95 % du statut de fonctionnaire, même si parmi les protagonistes de l’Internet à France Télécom, nous étions beaucoup de salariés de statut de droit privé.

Une nouvelle vente de 25 % du capital a été faite fin 1998.

 

Le succès de France Télécom et son démarrage prometteur dans Internet avait porté le cours de son action de 182 francs (27,7 euros) le prix pour les actions réservées aux particuliers en septembre 1997 à 212 euros en mars 2000.

 

La filialisation de Wanadoo fut alors envisagée avec une mise en bourse séparée pour profiter de l’engouement de l’Internet et pour collecter des fonds pour faire de la croissance externe. Pour présenter des comptes favorables à une entrée en bourse, Wanadoo et Voila devaient engendrer de plus en plus de recettes, principalement issues des abonnements Internet du fournisseur d’accès Wanadoo mais aussi de la publicité vendue sur les contenus « gratuits » des services des portails, non seulement sur des espaces réservés, généralement en haut des pages et sur les côtés, mais aussi à l’intérieur des contenus (les listes réponses pour les moteurs de recherche). C’est ce mode de financement qui a permis plus tard la fabuleuse accumulation de richesse réalisée par Google.
 

Nicolas Dufourcq, l’actuel Président de BPI France, fut un fervent défenseur de Voila en tant que Directeur de la division Multimédia de France Télécom. En juillet 2000, Nicolas Dufourcq mena l’introduction en bourse de Wanadoo et en devint PDG. Il fut élu manager de l’année. Le fournisseur d’accès Wandoo avait plus d’un million de clients et était leader sur son marché et Voila avait dépassé Yahoo.fr pour devenir le premier moteur de recherche consulté en France. France Télécom était le seul opérateur Internet d’Europe à avoir réussi à être leader sur les deux secteurs : le réseau (les tuyaux) avec les abonnements et les contenus (les services) dont le moteur de recherche le plus consulté dans son pays.

 

Vingt quatre ans après, bon moment pour analyser ce qu'il s’est passé. Pour le lancement de Voila.fr, nous avions organisé une campagne de communication en annonçant la prochaine sortie d'un moteur de recherche qui devait être un nouveau « phare » pour la navigation sur les millions de pages d'Internet en synchronisation avec la mise en service du vrai phare du bout du monde reconstruit sur l’île des Etats en Argentine à l’initiative de André Bronner. Ce phare a été popularisé en France par le livre de Jules Verne : « Le phare du bout du monde. »

 

En 2018, André Bronner est revenu sur l’île des Etats pour vérifier le fonctionnement du phare dont les éclats ont une portée de 26 kilomètres dans des conditions extrêmes. Quelques travaux sont à mettre en œuvre sur le système électrique et les panneaux solaires, mais le phare tient bon. , contrairement à Voila.fr

 

Dans une entreprise publique qui pouvait craindre légitimement la menace que ferait peser sur ses activités le développement de l’Internet, je retiens surtout ma participation à la construction d’un immense réseau d’informations et d’échanges dans lequel soufflait un vent libertaire. Pour moi, à l’échelle d’une génération qui n’a connu ni guerre ni catastrophe majeure, cela reste un petit rendez-vous avec la grande Histoire.

 

A la fin des années quatre vingt dix, ceux qui avaient connu les résidus de contre-culture, qui avaient milité dans des mouvements autogestionnaires, altermondialistes ont rencontré des geeks, ces fous d’informatique qui voulaient casser tous les codes. Aller vite en coopérant avec des pairs qui cherchaient dans la même direction. Il s’est passé quelque chose avec l’arrivée du réseau Internet qui ouvrait tous les espaces. Pas de contrat d'accès ni de contrôle à posteriori pour la conformité aux contrats comme sur le Minitel. Des pages d’information avaient instantanément une adresse en payant quelques euros et étaient accessibles à tous partout dans le monde et sans contrôle. Les gendarmes de la pensée étaient mis au défi dans un nouvel espace dénué de toutes réglementations et de droit.

 

Le succès du Minitel.

 

Avec le Minitel, les contrôles n'étaient pas très stricts. Le réseau n'étant pas déclaré neutre, l'opérateur avait obligation de contractualiser avec les fournisseurs de service en précisant les conditions d’accès au grand public à travers le Kiosque. Mais le contrôle se faisait seulement à posteriori en vérifiant si l'usage était conforme au contrat. Par contre la simplicité du payement des services sur la facture téléphonique grâce au Kiosque a permis un développement avant-gardiste et unique au monde de services interactifs marchands en ligne qui ont atteint le chiffre de 22.000 dans les années 90 et une acquisition d'expériences et de savoir-faire facilitant le lancement de services Internet commerciaux par la suite. Leur succès relatif au niveau mondial parmi la concurrence dominée par les Etats-Unis avec la masse critique de leur marché intérieur est une autre histoire. Grâce au Minitel, le démarrage des ventes en ligne, les services bancaires, les messageries, la vente par correspondance de produits physiques a été plus rapide en France qu'aux Etats-Unis. En 1994, 1,2 million de foyers passèrent une commande sur un site de VPC par le truchement de leur Minitel en France contre 800 000 foyers sur Internet aux États-Unis.

 

Par contre, le Minitel ne permettait pas le lancement de sites d'expression non commerciaux en accès gratuit, comme sur Internet avec les sites web ou les blogs. Il fallait passer par un agrément en 3614 avec un tarif équivalent au payement d'une adresse web pour l'éditeur du service mais le consultant payait à la durée : 20 francs – 3,05 € par heure pour visualiser ces pages Minitel.

 

Le passage des services sur Internet à France Télécom

 

Nous étions tous excités dans notre service multimédia de France Télécom à l’idée de casser la baraque sur Internet, avec la « killer application », de sortir le service innovant avant tous les autres et sans les contraintes économiques d’une entreprise privée. Internet, espace public échappant pour un temps aux règles libérales, avant que les levées de fonds des startups n’enrichissent quelques uns. Nous avons avancé dans un mélange très riche de générations, d’ambitions, et d’idéologies.

 

Nous avons bénéficié du capital innovant disponible à France Télécom, de la part importante dédiée à la recherche et du côté visionnaire de certains hauts responsables comme Jean-Paul Maury, le responsable du projet Minitel qui avait su imposer une ergonomie des services très simple d'accès et le traitement du langage naturel sur l'annuaire électronique, le 11 puis 3611 avec un système d'intelligence artificielle qui assurait une traduction automatique des questions librement posées par l'utilisateur en rubriques professionnelles des Pages Jaunes. Le traitement du langage naturel fonctionnait avec un moteur de règles associé à un vaste réseau sémantique développé par la société GSI ERLI de Bernard et Etienne Normier. La qualité et l'innovation du service 3611 ont valu à France Télécom d'être sollicité par US WEST, un des opérateurs de téléphonie américains, pour mettre en place un annuaire électronique sur Minitel dans une partie des Etats Unis en 1992 avant le développement d'Internet.

 

En 1996, alors que France Télécom était encore un opérateur public et que nous étions en charge du 3611 sur le Minitel, la direction a su encore anticiper en nous demandant de préparer son passage sur ordinateur connecté.

 

Mais la direction de France Télécom était très prudente vis-à-vis du réseau Internet sans contrôle. Elle ne voulait pas se risquer trop vite sur un réseau incontrôlable et laisser libre cours à des développements technologiques anarchiques qui, selon elle, allaient mettre en péril leur modèle économique et la sécurité des réseaux. Au contraire, quelques uns au Centre de recherche du CNET autour de Frédéric Pallu et dans notre service étaient fascinés par le potentiel et la liberté offerte par Internet avec son langage HTML permettant de créer des liens très simples entre un mot d’une page et celui d’une autre page disponible n’importe où sur le réseau. Comme les associations d’idées, le coq à l’âne, les clics échappaient au monde hiérarchique.

 

Une autre équipe de France Télécom et du CNET avaient concocté avec Deutsche Telekom un protocole de communication entre ordinateurs alternatif au HTML qu’ils avaient appelé VEMMI et que nous appelions « vomi ». Cette bête à cinq pattes ouvrait des tas de fenêtres sur les ordinateurs dès qu’on voulait naviguer en réseau et les accès aux pages étaient soumis aux kiosques à péage des opérateurs. Nous avons développé, sans y croire un nouveau service sur ordinateur dans ce protocole VEMMI, mais en parallèle et discrètement avec Frédéric Pallu et les équipes du CNET et du (Service national des Annuaires) SNAT, nous avons élaboré très discrètement une maquette d'annuaire qui fonctionnait sur le réseau Internet en HTML ouvert à tous les vents. A la demande de la direction, ce fut le service en VEMMI et pas celui adapté à l’Internet que nous avons présenté à François Fillon, nouveau Ministre des Technologies de l’Information en octobre 1995 au salon international des Télécoms à Genève.

 

Il nous fallait aussi faire sauter un autre dogme interne. Pour assurer la sécurité des services en ligne et selon les recommandations de toutes les sociétés de consultants extérieurs encadrant les projets informatiques, les serveurs devaient être des gros ordinateurs chers fonctionnant avec le système d’exploitation Unix. Alors que toutes les petites équipes de développeurs sur Internet jonglaient avec des systèmes plus souples et beaucoup moins chers, des ordinateurs PC à peine plus gonflés que ceux des particuliers et fonctionnant avec Linux, le logiciel libre peu en vogue chez les ingénieurs de France Télécom. Il a fallu convaincre la direction avec l’aide des chercheurs les plus ouverts du CNET que les services pourraient être sécurisés et que nous aurions la souplesse nécessaire à l’innovation avec des coûts bien moindres sur ce type d'architecture.

 

Quand la déferlante Internet s’est imposée partout dans le monde et a fait sauter tous les verrous jusqu’aux plus hautes instances de France Télécom, la Direction, ne voulant pas être complètement dépassée nous a demandé de développer au plus vite un annuaire en HTML sur Internet. Cela tombait bien, tout était prêt. Le service sur Internet sous le nom de Pages Zoom a été lancé en quelques semaines en 1997 avant la privatisation. Nous avions fait une recherche de nom en interne. Nous ne nous rendions pas compte des difficultés que nous allions rencontrer pour imposer une nouvelle marque et du budget nécessaire pour y arriver. Plus tard, l’ensemble des services est devenu accessible sous la marque « Pages Jaunes ».

 

Laurent Souloumiac est arrivé en juin 1997 en tant que Directeur Marketing annuaire et il a su organiser, piloter et faire agréer par la Direction tous les projets de développement sur Internet autour des annuaires et du moteur de recherche.

Nous avons appliqué le modèle économique qui avait fonctionné sur l’annuaire 3611 et qui anticipait ce qui est devenu la règle sur Internet : la gratuité de l’accès au service et des revenus issus de la publicité payée par les annonceurs. Pour fournir une base d’information riche dès l’ouverture du service, nous avons mis en ligne dans un format compatible avec Internet 10.000 catalogues vidéotex disponibles sur le Minitel 3611. Ils décrivaient les offres des professionnels, en attendant les vrais sites web des entreprises en HTML qui sont arrivés plus tard. Très vite, nous avons ajouté à l’annuaire un service associé de cartographie avec Mappy pour localiser les professionnels et surtout les photos de tous les bâtiments de Paris. Pour investir dans ce service de photos développé par la société SNV (Société de Numérisation de Ville)  de Nicolas Gagnez, ça n’avait pas été facile de convaincre les décideurs et d’obtenir le budget nécessaire à l’achat en exclusivité des 350.000 photos d’immeubles de Paris.

 

En fait, cela s’est avéré un formidable coup de publicité pour l’annuaire. En première mondiale, chaque internaute pouvait visualiser les photos des immeubles correspondant à toutes les adresses de Paris, pour explorer l’environnement de son futur appartement ou pour visualiser un commerçant recherché. Il pouvait aussi naviguer dans les rues de Paris en cliquant sur toutes les adresses voisines. C’était une anticipation de Google Street qui avait été imaginée par Nicolas Gagnez qui envoyait une dizaine de jeunes en scooter prendre les photos des immeubles et les enregistrer aussitôt sur un pc portable avec leurs coordonnées Lambert. Ils associaient les photos aux coordonnées latitude-longitude de chaque adresse. Nous avons fait le lien avec toutes les adresses parisiennes de la base de données annuaire. En juillet 1998 (le même mois qui a vu une autre victoire largement fêtée en France), ce service a obtenu le LISA Award du meilleur annuaire au monde sur Internet à Boston. Ce qui avait plu au jury, je crois, c’était la multitude de services associés, en plus des plans et des photos de ville. Il y avait des rues marchandes, des pages Marques, un guide des sorties que nous avions appelé Nouba et déjà un moteur de recherche baptisé « Pages web ».

 

Il manquait un service populaire sur Minitel, la recherche inverse qui permettait d’obtenir le nom et l'adresse d’une personne à partir de son numéro de téléphone. Avant la création de France Télécom le directeur général des Télécomunications du ministère des PTT, Jacques Dondoux, s'était opposé à son ouverture au grand public pour « préserver la paix des familles ». Elle était disponible sur le service de renseignement du 12 en accès restreint pour les pompiers. Plus tard, la CNIL a maintenu ces restrictions pour protéger les données personnelles des abonnés. L'idée n'avait pas fait son chemin.

 

La Direction de l’entreprise de service public France Télécom refusa toujours assez justement d’enfreindre cette interdiction. Mais Xavier Niel a vu, lui, le moyen de gagner beaucoup d’argent en jouant les détournements délinquants. Il lui manquait la base de données des abonnés de France Télécom qui la commercialisait par segments pour faire du démarchage publicitaire. France Télécom ne souhaitait pas se déposséder de l’ensemble de sa base nationale d’abonnés pour favoriser un concurrent indélicat. Si génie il y a chez Xavier Niel, on le trouve dans l’ingéniosité du petit délinquant qui prolongeait une martingale devenue célèbre comme « cochon rose ». Des opérateurs de services Minitel connectaient une batterie de Minitels toute la journée sur leurs codes 3617 de services professionnels dans des appartements opportunément abandonnés quand les factures de France Télécom arrivaient. Elles restaient impayées. Tout bénéfice pour les propriétaires de ces codes 3617 qui faisaient exploser leurs revenus sans payer les connexions de leurs Minitels pirates. Une faille dans le système de contrôle de l’opérateur public. Xavier Niel qui avait déjà amassé un beau trésor de guerre avec des revenus tirés des services de rencontres, le Minitel rose, a appliqué une recette du même type en lançant un service exploitant des données appartenant à France Télécom. Il enregistrait les listes d’abonnés fournies par l’annuaire en réponse à des batteries de requêtes pour collecter tous les abonnés de France. Il multipliait à l’infini des connexions d’une durée limitée à trois minutes pour bénéficier de la gratuité du service offert aux abonnés. Il a ainsi pillé la base de données annuaire sans rien payer à France Télécom. Il a ouvert en 1995 son service d’annuaire inverse ANNU sur un 3617 à un tarif très élevé et il s’est enrichi. Techniquement, le service n’avait rien d’innovant, c’était un jeu d’enfants pour des informaticiens de programmer des interrogations de bases de données très simples : des numéros de téléphone en requête et des noms et des adresses en réponse. France Télécom a porté plainte et Xavier Niel a été condamné en 1999 à payer 15 millions de francs de dommages et intérêts pour piratage de sa base de données. Sa réputation était faite pour les mass média. Il était devenu le grand pirate, héros des ultra libéraux qui voyaient en lui le champion qui allait croquer le monstre, le mammouth, l’horrible établissement public qui avait été partiellement privatisé en 1997 et qui n’avait gardé que les missions universelles de service public garantissant l'accès au téléphone pour tous, une couverture minimale du territoire en cabines téléphoniques et l’annuaire universel.

 

En résumé nous n’avons différé l’ouverture de ce fameux annuaire inverse que pour respecter les libertés définies par l'ancien directeur des télécommunications. Quand la réglementation a évolué et que France Télécom a été autorisée à ouvrir un service d’annuaire inverse, cela a été fait très rapidement. Le 3615 QUIDONC a été ouvert en 1998 à un tarif inférieur à celui d’ANNU de xavier Niel. Et effectivement, c’était trop tard pour venir concurrencer le 3617 ANNU tellement connu et soutenu par une grosse campagne de pub et une grande partie de la presse fascinée par ce « pirate » milliardaire.

 

La révolution des moteurs de recherche sur Internet

 

Contrairement à ce que certains nous disaient dans France Télécom: « l’annuaire sera toujours la porte d’entrée sur les réseaux et vous tenez toujours la killer application !», nous avions compris que dans une logique de mots charnières entre les pages, il fallait un système de recherche capable d’aller chercher directement la bonne série de mots librement dans les pages Internet. Plus la peine d’avoir une armée de documentalistes qui référencent chaque page dans des rubriques. Il fallait un explorateur de pages capable d’indexer automatiquement les mots et les pages et de répondre à n’importe quelle recherche instantanément et de manière exhaustive. Comme ce service n’avait pas été développé en interne, pour aller vite, nous avons audité les moteurs de recherche créés en France et nous avons sélectionné celui qui nous paraissait le plus performant, celui d’Echo à Sophia Antipolis. Nous avons trouvé un accord avec son génial inventeur, Christophe Dupont et ses associés Christophe Ruelle et Michel Bisac et nous l’avons intégré aux autres services des Pages Zoom pour lancer le moteur de recherche et le portail de France Télécom. Nous l’avons d'abord nommé Pages Web sans faire appel à un cabinet de communication.

 

Nous pensions avoir été très malins en choisissant la marque « pages web » pour ce nouveau service. A l’époque, nous achetions pour quelques dizaines de francs des noms de domaine correspondant à nos trouvailles pour les nouveaux services. Nous avions été très surpris que le nom de domaine « pagesweb.com » n’eût pas été réservé. Mais finalement, c’était trop simple, trop générique et peu significatif. Cette marque « pages web » s’est avérée sans valeur « marketing », nous l’avons laissé tomber. Nous cherchions une marque formée par un mot français facilement mémorisable et compréhensible dans toutes les langues et si possible déjà utilisé aux Etats-Unis. Une agence de communication nous a proposé « Voila », simple, rapide, bien adapté à des réponses à une demande (les requêtes faites sur le moteur de recherche) et qui était fréquemment utilisé aux Etats-Unis dans le langage courant.

En juillet 1998, les Pages Zoom qui reçurent, à Boston, le LISA Award, incluaient le moteur de recherche pagesweb. Ce même mois de Juillet, nous avons lancé notre nouveau service indépendant des annuaires, le moteur de recherche voila.fr sous sa nouvelle marque : Voila.

En Juillet 1998, au moment du lancement de Voila, il n’existait pour faire des recherches sur le web que les moteurs Alta vista (créé par le Français Louis Monier) et Lycos au niveau mondial et des guides web, dont celui qui avait le plus d’audience dans le monde et en France avec son service lancé en septembre 1996, Yahoo.fr, Nomade et MGS Wanadoo (de France Télécom). Les guides web classaient manuellement avec des documentalistes les principales pages web françaises dans des rubriques sur le modèle des Pages Jaunes. Google en était encore au stade embryonnaire. La société Google Inc a été créée en septembre 1998.

Dans le monde des pages jaunes, nous classifions les professionnels dans 1800 rubriques et la société GSI ERLI avait développé un logiciel complexe de traitement du langage naturel pour proposer la bonne rubrique à partir des demandes tapées librement sur un formulaire de recherche par les utilisateurs du service. Un énorme dictionnaire contenait des liens de généricité et de synonymie entre les mots et les expressions du langage courant pour faire correspondre au mieux les requêtes du public avec la ou les rubriques les plus proches. Nous étions assez fiers d’avoir adapté ces techniques à nos annuaires et d’en avoir vraiment facilité leur usage. Nous avions aussi imaginé faire des recherches « plein texte » sur les catalogues des professionnels dans les Pages Jaunes en ligne qui étaient relativement standardisés. Cela aurait permis d'exploiter tous les mots de ces catalogues pour retrouver les professionnels à partir de questions précises, au de là des rubriques. Mais cela n’avait pas donné de très bons résultats et surtout la direction de la régie publicitaire des annuaires, l'Office d'Annonces (ODA) freinait la mise en service de cette nouvelle fonctionnalité qui risquait de concurrencer les ventes des espaces publicitaires dans les Pages Jaunes papier, assurant encore et de loin la plus grande part de ses revenus.

 

Certains, chez Wanadoo, ont voulu répéter le modèle des Pages Jaunes en indexant toutes les pages web dans des rubriques qui étaient censées représenter la richesse de l’Internet. Cela paraissait une gageure et c’est effectivement devenu une entreprise pharaonique à laquelle ont renoncé tôt ou tard tous ceux qui s’y étaient essayés, Yahoo au niveau mondial, Nomade et Wanadoo en France. Comme dans beaucoup de professions, ceux qui ont acquis le statut de médiateur entre le public et le savoir s’y accrochaient. Classer, répertorier les informations pour présenter les connaissances du monde, étiquetées dans des rubriques, cela les fascinait plutôt que de comprendre le changement d’univers.

 

Mais les liens hypertexte changeaient tout. Avec la standardisation des formatages de texte pour le HTML, on pouvait faire de la recherche plein texte alors que sur Télétel chaque base de données avait ses propres modes de requêtes d'information.

 

Sur lnternet, grâce au langage HTML qui structurait (par des balises, mots clés) toutes les informations contenues dans les pages web, des robots avec des routines automatiques pouvaient s’immerger dans les millions puis les milliards de pages web, aspirer leur contenu, indexer tous les mots contenus dans les pages et proposer des recherches en mots libres directement sur le contenu des pages. L’utilisateur formulait une question et découvrait dans les listes réponses la diversité des approches sur la problématique recherchée sans aide de documentalistes et de rubriques intermédiaires. C’était le principe des moteurs de recherche.

 

En quelques mois avec Laurent Souloumiac et une équipe d'une quinzaine d'éditeurs marketing chez Wanadoo, Christophe Ruelle, Michel Bisac et ceux qui étaient restés dans « Echo », nous avons hissé Voila aux premiers rangs des portails français au coude à coude avec Yahoo.fr en France.

 

Les campagnes de publicité ont été assez limitées, mais toutes les équipes se sont senties portées et poussées par le parrainage accordé au bateau Imoca (classe de monocoques de 18,23 mètres pour les courses au large), celui de Christophe Auguin qui avait gagné la course autour du monde 94 - 95 a été rebaptisé Voila.fr et le skipper Bernard Gallay s’est engagé sur la course en solitaire autour du monde, le Vendée Globe, en novembre 2000. Ce magnifique bateau a navigué sur toutes les mers du monde avec la marque voila.fr. Bernard Gallay a terminé la course en huitième position, ce qui était en soi un exploit.

Pour voilà.fr, le projet était de faire une vraie porte d’entrée sur le web français avec les informations essentielles et les bons outils pour naviguer. C’est pourquoi nous avons fait de voila.fr un portail multi services qui associait le guide du web disponible sur Wanadoo pour les utilisateurs qui préféraient s’appuyer sur des rubriques à côté du moteur de recherche, et beaucoup d'autres services, dont les annuaires. Nous avons été influencés par les succès de l’époque, Yahoo, Excite, Alta vista qui proposaient tous des portails alors que Google lancé plus tard a tout misé sur un seul formulaire de recherche au centre d’une page vide pour rendre un service ultra rapide.

Voila.fr a dépassé Yahoo.fr en audience juste avant que Google apparût en français en mai 2000.

 

Comparer la qualité des moteurs de recherche

Pour comparer les moteurs de recherche, on considère généralement quelques critères d’évaluation : la pertinence de leurs réponses, leur rapidité et leur exhaustivité. La pertinence des réponses est assez difficile à évaluer. Il faut juger la liste des pages web qui est fournie pour une question donnée et apprécier si celles qui sont en tête de liste sont les plus pertinentes, c'est-à-dire les plus utiles à la recherche effectuée, les plus sérieuses, les plus importantes pour une communauté donnée, scientifique, politique ou pour le grand public. Il faut aussi éviter les doublons et pour cela il faut que les algorithmes soient capables d’identifier s'il s’agit des mêmes contenus sur deux pages web différentes bien que figurant à des adresses différentes. Pour organiser les réponses avec pertinence, voilà.fr, avait adopté à peu près le même algorithme que Google : placer en tête les pages qui ont le plus grand nombre de liens pointant vers elles. Ça revient à les classer en fonction de leur popularité, le fameux « page rank » qui n’était pas l’exclusivité de Google. La difficulté résidait dans la mise en œuvre du système, mais le concept était disponible dans les grandes lignes sur les revues spécialisées et sur Internet. Cela permettait d’automatiser le processus en partant du principe que si une page était « référencée » par beaucoup d’autres pages qui contenaient un mot ou une expression pointant vers elle, cette page devait être intéressante pour la majorité des internautes.

 

Ces principes qui ont prévalu au moment de la création des moteurs de recherche Voila et Google ont ensuite été contournés par les exigences commerciales avec l’invention des produits publicitaires de court-circuitage des listes réponse. Dans les premières positions sont apparues dans des espaces identifiés « annonces » des pages web dont les propriétaires avaient payé pour gagner des places dans le classement de pertinence. Une cotation existe pour les mots en fonction de la demande connue statistiquement par l’analyse des requêtes faites quotidiennement sur le moteur de recherche.

 

Des agences de référencement sont également apparues sur le marché. Elles offrent leurs services pour améliorer globalement le classement des pages web dans les listes réponses des moteurs de recherche, toujours ce « page rank ». Pour cela, elles créent des liens artificiels, c'est-à-dire non justifiés par une pertinence quelconque, entre les pages web de leurs clients et des pages relais qui n’existent que pour alimenter ce commerce. Google prétend lutter contre ce phénomène en contrôlant par sondages la pertinence des liens entre les pages.

 

Ces critères de pertinence classifient l’information dans tous les domaines en s’opposant aux principes de la hiérarchisation du savoir par l’université et les communautés scientifiques et techniques. Le temps est fini où une catégorie d’experts était chargée de manière exclusive de compiler les connaissances pour établir ce que « l’honnête homme », « une tête bien pleine » d’une époque devait assimiler. C’était sans doute une bonne chose parce que des thèses jugées iconoclastes ou politiquement rebelles ont pu être écartées des catalogues de référence universitaires jusqu’à l’arrivée d’Internet.

 

Mais, la publicité a distordu la pertinence des listes réponses des moteurs de recherche. Et les premières places sont cruciales parce qu’on sait que 50% des utilisateurs choisissent une des deux premières réponses et 90 % l’une des 10 premières.

 

Le service Wikipédia, l’encyclopédie autogérée de l’Internet et sans but lucratif, donc sans publicité, malgré les erreurs ou omissions que l’on peut tous identifier sur ses contenus, est devenue incontournable et fait office de contrepoids en terme de qualité pour synthétiser les informations disponibles sur un sujet. Les pages Wikipédia apparaissent souvent en bonne position dans les résultats des moteurs de recherche. Les informations Wikipédia proposées sur ses pages donnent un premier niveau de savoir qu’il faut bien sûr compléter par des lectures livresques ou par des recherches plus approfondies sur l’Internet. Les informations sont publiées par des volontaires motivés par la diffusion de leurs connaissances et elles sont vérifiées par un complexe réseau de correspondants qui garantissent assez bien la diversité des points de vue que leur véracité. C’est un bel exemple d’intelligence partagée.

Mais pour un moteur de recherche prétendant devenir l’outil exclusif d’accès aux informations publiées sur l’Internet, privilégier les pages web des annonceurs dans les listes réponses classées en fonction de leur niveau de popularité me paraissait introduire un biais fatal.

 

Avec le recul, on peut dire que le ver était dans le fruit avec notre choix sur Voila d’utiliser, comme sur Google, le filtre de la popularité pour trier les listes réponses. Nous savons qu’une politique populiste conduit à acheter les votes et à pratiquer le clientélisme. Et admettre que la pertinence d’un classement d’informations est basée sur le niveau de popularité de chaque document les contenant, c’est marchandiser le sens, le bien commun le plus précieux de l’humanité. Faire un hit parade de la vérité dans chaque domaine de connaissance, organiser le savoir par plébiscite.

 

Le profil du client est exploité pour lui proposer des informations adaptées à son environnement de pensée et pire encore.

Plus généralement, on passe d’une sélection humaine académique de choix des savoirs à des algorithmes manipulés par des commerçants, une reproduction de schémas existants dans le monde réel.

 

A l’époque nous étions plongés dans la course au lancement commercial et persuadés que cette méthode de classement par popularité serait la plus efficace. Nous oubliions et moi en particulier tous les débats théoriques en linguistique et en philosophie, sur le sens, la pertinence et la vérité. Quel est le contexte de la recherche, quel crédit est apporté par l’utilisateur aux différentes sources Wikipédia, universitaire, amateur ? Quelle est son orientation politique ? Quelle marge de surprise l’utilisateur s’autorise pour découvrir des documents inattendus et hors de ses références habituelles ? Sortir du calcul pour aller vers le vivant collectif.

 

Avec Voila, nous n’avons peut être pas fait « histoire » parce que nous n’avons pas formalisé notre projet, nous ne l’avons pas énoncé. C’est comme s’il s’était fait automatiquement guidé par l’air du temps, par l’environnement du techniquement possible. Cela a répondu à des calculs et cela a été absorbé dans le chaos informationnel de l’actualité sans histoire, sans possibilité d’ouvrir le débat. Finalement j’ai l’impression que cela n’a pratiquement pas existé. C’est resté une action muette et cela a disparu de l’Histoire. Aucun commentaire, aucune interprétation pour faire sens. Acte sans écriture comme celle des Celtes dans l’antiquité.

 

Toute cette séquence que les acteurs vivaient comme une aventure humaine passionnante a été enregistrée machiniquement par les évaluations techniques objectives interdisant toute narration suspecte de subjectivité. Les acteurs du moteur de recherche Voila n’ont pas seulement été écartés par une direction tournée vers la rentabilité à court terme, effet de la privatisation. Ils ont disparu d'Internet, comme cette histoire a aussi disparu des réponses fournies par Google.

 

Je sais que tous ceux qui ont participé à ce projet et à sa réalisation pendant quelques années ont été marqués par cette expérience professionnelle hors norme. La confiance, le dynamisme, la créativité personnelle, l’autonomie cordonnés en travail d’équipe autour du projet ressemblaient à nos références du « travail bien fait » dans l’artisanat ou dans la préparation d’un film avec à la clé pour chacun son développement personnel, l’affirmation de soi en tant que sujet désirant et l'expression de son identité. Faire un bon produit, le meilleur en cherchant la qualité, en le testant auprès de groupes d’utilisateurs, sans exigence de rentabilité immédiate possible en tant que service public. Construire une offre à partir de notre imagination et de ce que nous identifions comme utile dans toutes ces technologies émergentes.

 

Comparaison entre Voila et Google

 

Pour la vitesse de réponse, nous pouvions compter sur l’infrastructure de France Télécom et sur l’ingéniosité des équipes d'Echo à Sophia Antipolis, je crois que c’était assez probant. Pour l’exhaustivité des réponses, c’était la course au gigantisme, il fallait disposer de ce qu’on appelle une ferme regroupant plusieurs milliers d’ordinateurs fonctionnant sous Linux pour explorer tout le web mondial, indexer les pages web et être capable de retrouver rapidement les pages les plus pertinentes avec l’algorithme maison. La Direction de France Télécom nous a donné son accord pour quelques dizaines de machines permettant d’explorer le web francophone. Mais ensuite il fallait obtenir plus de moyens pour explorer les pages web du monde entier dans toutes les langues. Il était évident que la demande des internautes était d’avoir un seul service pour rechercher dans n’importe quelle langue nationale ou régionale. Cela impliquait d’avoir une dimension mondiale et une audience justifiant les investissements permettant d’indexer l’ensemble des pages web disponibles sur Internet. Au début, la direction a suivi et nous avons pu multiplier les centres techniques dont un stratégique dans un entrepôt à New York, en face de Manhattan. Nous avions loué quelques dizaines de mètres carrés pour loger des machines dans des cages métalliques et notre espace était voisin de celui de Yahoo. C’était, en 2000, une étape forte qui a marqué l’équipe mixte Echo de Sophia Antipolis, CNET et le marketing de Voila. Je me souviens que nous sommes sortis du bâtiment pour regarder l’île jonchée de tours, le cœur du business américain. L’un d’entre nous a parlé des Twin Towers, mais je les ai effacées de ma vision. Le moment était trop important pour que je m’intéresse à des buildings qui symbolisaient la force du capitalisme américain. Je ne pensais qu’au lancement de notre moteur de recherche au niveau mondial et nous étions présents aux Etats-Unis pour défier les concurrents américains à qui nous ne voulions pas laisser le champ libre.

 

Nous avons ouvert le service mondial à l’adresse voila.com avec une campagne de communication web assez limitée pour le faire connaître. Cette fois, faute de moyens, mais aussi du fait de la conviction des deux responsables d’Echo, les créateurs du moteur de recherche, le site proposait une page d’accueil ultra simplifiée avec seulement le formulaire du moteur de recherche. Eh oui, cela rappelait celle de Google ! Mais, notre tentative est restée assez symbolique. Google s’est insinué partout comme une traînée de poudre. Il a dynamité l’univers du net avec une stratégie de licence de son moteur qui est devenu le moteur exclusif de beaucoup de sites web importants. Et puis, comme on dit à chaque fois pour s’excuser de ne pas avoir mieux réussi, ils avaient le marché interne américain. Nous avons dû faire des erreurs, ne pas aller assez vite. La Direction de France Télécom n’a pas donné son accord pour augmenter massivement le parc de machines.

 

Larry Page et Sergueï Brin, les créateurs de Google ont eu la même vision que les inventeurs du moteur Echo à l’origine de Voila. Avoir une page d’accueil complètement dépouillée avec seulement le formulaire de recherche sans bandeaux publicitaires et sans autre proposition de services ou d’informations, à l’inverse des portails déjà existants sur Internet. Ils voulaient que leur page s’affiche comme un éclair et de même leur liste de réponses.

 

Mais il faut dire que ce service centré exclusivement sur le moteur de recherche correspondait à une vision de techniciens alors que nous avions rêvé de créer un nouveau media avec du contenu et des unes comme dans les journaux. Pour le 11 septembre 2001, nous avions publié une interview exclusive d’Alain Joxe, un des rares en France à bien connaître le parcours de Ben Laden à ce moment là et à être capable de donner un éclairage géo-stratégique des forces en présence. Proposer à la fois un journal et un moyen d’expression ouvert à tous à travers les blogs de l’époque, les forums et les t’chats.

 

Mais Google s’est imposé avec une page d’accueil mono bloc d’un seul champ de recherche, le produit à l'aspect ultra simplifié le plus efficace pour être distribué partout dans le monde avec un minimum d’adaptation.

 

Devant la percée foudroyante de Google, nous sous sommes repliés sur la France en développant toujours plus de services. Avec la petite startup qui avait inventé le service des photos de villes, nous avons transformé le service de cartographie de Mappy avec des images vectorielles qui permettaient de zoomer dans la carte sans recharger l’image, anticipation du Google map.

 

Nous avons travaillé sur un guide comparatif d’achat (Espace shopping). Une équipe d'ingénieurs de l’Institut national de recherche en informatique et en automatique (IRIA) autour de Mauricio Lopez avaient conçu un algorithme qui explorait les sites de commerce électronique et indexaient les produits proposés avec leurs tarifs et leurs descriptifs de manière à pouvoir les présenter dans des listes réponses. L’idée était de pouvoir comparer surtout les prix mais aussi les prestations associées. Des services équivalents avaient commencé à apparaître aux Etats-Unis. Nous sommes allés les évaluer avec les équipes du CNET pour savoir si leurs choix techniques étaient plus avancés. Nous avons eu des propositions à 1 million de dollars sur des grosses machines Sun pour pouvoir exploiter en France leur technologie. Nous sommes revenus convaincus de la qualité du projet Kelkoo de l’équipe issue de l’IRIA et nous avons passé un accord de partenariat qui a permis de lancer le service sur une batterie de petits ordinateurs. Kelkoo fut, un temps, le premier service Internet commercial d’Europe avec le renfort de Pierre Chappaz, un ex d'IBM devenu son CEO.

 

Nous avons ensuite développé à tour de bras avec l'équipe d’Echo intégré à France Télécom et le soutien de petits groupes du CNET et du CCETT des services qui facilitaient le dialogue des internautes : des tchats, des forums et des listes de discussions, la plate forme d’hébergements de pages web avec son outil de création à partir de modèles (type blogs), un webmail avec des adresses @voila.fr, un journal d’information fourni par l’AFP, un service de traduction automatique en partenariat avec Reverso. Les développeurs avaient tous entre vingt cinq et trente ans et avaient l’impression d’inventer un monde nouveau. Bien sûr certains rêvaient aussi au magot qu’ils espéraient rafler en créant une startup et en la revendant rapidement sur ses promesses de gains futurs, mais ils étaient tous engagés dans une course collective. Tous les développements se faisaient à partir de logiciels libres avec des contributions disponibles sur le réseau. Le défi, c’était d’être les premiers à sortir l’application élégante, facile d’usage et reconnue par la communauté.

 

Pour que chacun puisse créer et actualiser ses pages web sans être un geek bidouilleur de codes, un groupe du CCETT autour de Christian Lecoq et Marc Denjean a conçu à notre demande, l'application qui permettait de construire, pas à pas, à partir de modèles de pages web préconçus et avec des choix simples d’options, des sites avec des rubriques pour présenter clairement des informations en insérant des photos. Très vite, plus d’un million de sites ont été créés gratuitement par des internautes dans tous les domaines sans faire appel à des entreprises spécialisées. Ce service préfigurait les blogs avec quelques années d’avance. Aujourd’hui, ça parait simple. Tous ceux qui veulent s’exprimer et s’organiser collectivement ouvrent un blog en paramétrant leurs pages dans un cadre préformaté au lieu de commander à un professionnel un site sur mesure ou de le bricoler péniblement avec des logiciels complexes. Ensuite et depuis 2010 avec Facebook et son succès foudroyant, ils le relayent auprès de leurs contacts sur les réseaux sociaux.

Nous avons encore imaginé de proposer une centaine de portails pour les grandes villes de France. Une sorte de feu d’artifice. Avec de nouvelles technologies, de l’open source, Linux et un langage très souple, le Python, nous avons pu concevoir avec la société Net-Ng de Jean-Luc Carré, un système qui présentait de manière automatique des informations, type météo, sorties et actualités locales pour chacune des villes. Nous classions et publions les mêmes dépêches AFP que la presse régionale. Nous avons présenté ce nouveau service aux directions régionales de France Télécom le 11 septembre 2001. Les images des attentats du World Trade Center apparues sur un téléviseur ont brusquement remplacé celles des Power Points incontournables pour ce genre d’exercice. Cette fois ci les tours jumelles étaient vraiment effacées de la surface du globe. Tout le monde était interloqué devant l’effondrement des tours. Nous avons tous passé des coups de téléphone à des correspondants plus ou moins informés et aux équipes en train d’actualiser le portail Voila. En France, voilà.fr fut le seul site d'actualité à tenir la charge et TF1 a demandé que nous hébergions quelques unes de ses vidéos pour qu'elles soient visibles sur Internet. Quand la réunion a repris son cours, un des directeurs chargés d'engranger un maximum de revenus à court terme sur voilà.fr a tenu à prendre la parole pour annoncer fièrement que le portail Voila avait été extrêmement réactif et avait bouleversé sa page d’accueil pour couvrir cet événement exceptionnel. Nicolas Dufourcq, le PDG de Wanadoo a laissé terminer cette intervention hors de propos et a trouvé des mots forts pour s’extraire du contexte de l’entreprise et insister sur ce qui lui apparaissait comme une rupture dans le cours de l’Histoire : « Le monde a changé. Plus rien ne sera comme avant. »

 

Le portail des cent villes de France avec des informations et des moteurs de recherche en langue régionale a été ouvert en novembre 2002 sous la marque « En ville ».

 

Aujourd’hui, Voila a disparu en tant que portail, moteur de recherche. Le mot «voilà» a gardé son accent dans la vie courante et s’est imposé en force, depuis quelques années, en devenant un tic de langage comme le «y compris» des ex gauchistes reconvertis dans la presse et la communication dans les années 80 quand ils ont accédé aux manettes du pouvoir. Aujourd’hui, face aux menaces et aux peurs généralisées, à l’absence d’alternatives clairement affichées, le mot « voilà » après l’échec de « Voila » contre Google se retrouve missionné pour affirmer que nous sommes démunis, que nous ne pouvons pas tout expliquer et encore moins trouver des solutions à tous les problèmes.

 

Les autres alternatives à Google

 

Toutes ces activités menées dans France Télécom, dont le capital avait été partiellement privatisé étaient à comparer avec les opérations du moment de Jean Marie Messier, dit JMM, champion éphémère du secteur privé qui cherchait à se faire passer pour le pape de la convergence des télécoms et des média en France tout en allant se perdre dans les limbes d’Hollywood et en dilapidant l’argent de ses actionnaires. Dès son arrivée à la tête de la CGE rebaptisée Vivendi, il a sabordé « Havas on line », le fournisseur d’accès Internet créé dans son groupe qui avait pourtant très bien démarré pour préférer faire le lit « d’America on line » en France. Heureusement, ce service américain n’a pas su s’imposer face aux autres fournisseurs d’accès français et cette opération s’est soldée par un échec. Comme il avait la prétention que son groupe fût présent sur le marché avec des contenus disponibles à la fois sur Internet et sur les mobiles, il a fait ensuite développer un portail. Ses services ont bricolé un site sans aucune innovation et ils l’ont appelé « Vizzavi ». Il a été lancé en 2000, un peu tard par rapport à la concurrence et autant que je me souvienne sans moteur de recherche. Et en plus ils avaient oublié de vérifier la disponibilité de l’adresse vizzavi.fr et cela a fait la fortune de trois sénégalais dont Ababacar Diop, un des leaders des sans papiers qui avaient occupé l’église Saint Bernard dans le 18 ème arrondissement. Vivendi a racheté le nom « Vizzavi » pour 24 millions de francs ! On peut dire qu’indirectement cette fois, Messier a donné un coup de pouce au développement d’Internet en Afrique. Cet argent qui n’était plus le sien a été investi par Ababacar Diop dans un service de visioconférence sur Internet pour lequel la marque VIZZAVI me semblait plus adaptée que pour un portail Internet. Messier voulait faire de son portail, une arme absolue pour devenir leader en France et dans le monde sur Internet et sur les mobiles avec 800 salariés et un investissement d’1 milliard d’euros. Faute d’audience et d’intérêt du public, Vivendi a tout perdu. Le successeur de Messier a revendu pour quelques dizaines de millions d’euros sa participation dans ce portail en lambeaux qui n’existait plus que sur mobile.

 

Au début, Google, s’appuyant sur les logiciels libres et donnant accès à une partie de ses codes me paraissait plus ouvert que Microsoft ou Apple. Mais, maintenant il est clair que ses dirigeants ont astucieusement construit un empire en exploitant Linux à des fins commerciales et avec l'achat d'Android devenu ultra dominant dans les systèmes d’exploitation des téléphones portables Internet. Google, comme l’avait fait Microsoft pour les systèmes d’exploitation des ordinateurs, a constitué un monopole privé au niveau mondial (Chine exceptée) autour de son moteur de recherche pour l’archivage des données numériques du monde, les pages web, les livres, les images et les vidéos avec Youtube. Google fait appel dans tous les pays, et en France aussi à des équipes de lobbystes pour promouvoir leur stratégie commerciale sous couvert de l’intérêt public. Google promet de donner accès gratuitement à tout le patrimoine culturel du monde en échange d’énormes profits avec ses revenus publicitaires et son trésor que sont les Big data : les données accumulées sur les comportements des utilisateurs. Avec cette fabuleuse machine à cash localisée dans les paradis fiscaux, donc sans participation à l’effort public par les impôts, Google, à travers le holding Alphabet, investit massivement dans tous les secteurs de pointe, bio technologie, intelligence artificielle et autres.. Google veut s’imposer sur tous les marchés : les accès à Internet, les voitures automatiques sans chauffeur et surtout le transhumanisme. L’entreprise et ses stratèges dévoilent leur ambition avec le nouveau holding. Alphabet prétend fonder un monde à sa mesure basé sur le profit, la globalité, la simplification et surtout en dehors des Etats. En France, dans cette lignée, sont apparus « les nouveaux barbares », des gérants de startups qui veulent restructurer la société sans les Etats toujours en retard sur les technologies et avec l’idée que l’organisation du monde n’est qu’un problème technique et que les logiciels et les machines savent mieux traiter que les partis politiques au cœur des Etats nations.

 

Des résistants se sont opposés temporairement à la domination de Google en France comme Jean Michel Jeanneney à la BnF, certains éditeurs et certains organes de presse, mais pour contrer cette pieuvre, il faudrait assécher son milieu ambiant, la manne publicitaire. Il me semble que cette nouvelle race de prédateurs incarnés par Google et les entreprises de services à bas coûts qui s’appuient sur la demande de gratuité apparente des consommateurs pour casser les politiques publiques, doit être combattue par une nouvelle vision du service public, en partie incarnée par les projets open source, Linux et autres et le partage du savoir contrôlé comme Wikipédia. Beaucoup de gens sont prêts à s’investir bénévolement pour gérer des réseaux de connaissance et de savoir, pour peu que cela les valorise. Nous l’avions pratiqué dans la modération du t’chat pour éviter les débordements racistes et autres avec une foule de correspondants bénévoles agréés et organisés en réseau. Nous pourrions imaginer un moteur de recherche géré collectivement par une entité à but non lucratif, financé par des contributions individuelles déductibles des impôts et un système d’exploration du web avec des index hébergés sur des centaines de millions de machines distribuées en réseau comme le peer to peer (le pair-à-pair). Chacun des contributeurs réserverait un espace de sa machine connectée sur Internet pour stocker la carte du web et participerait au fonctionnement du moteur de recherche participatif. Il faudrait une répartition maximale des moyens chez les usagers pour créer une alternative à Google qui exploite aujourd’hui plusieurs millions de machines pour faire tourner tous ses services. Et les données collectées sur les recherches des internautes seraient considérées comme un bien commun, comme l’eau et l’énergie. Leur usage pourrait être partagé pour créer de nouveaux services plutôt que pour vendre de la publicité commerciale. On ne peut pas laisser à Google le monopole privé de collecte d’informations dans le monde. Au gré des intérêts de ses dirigeants, les algorithmes peuvent être modifiés pour façonner l’ordre du monde.

 

La fondation Internet Archive, créée en octobre 1996 a archivé des milliards de pages disparues de Google. En France, l’Ina s’est vu confier la conservation de contenus qui relèvent de l’audiovisuel. La BnF prend en charge « le reste ».

 

L'Appstore d'Apple est un système de Kiosque gratuit ou à péage sur le modèle de celui de France Télécom à l'époque du Minitel pour les ventes de logiciel et de musique et autres services payants sur Internet.

 

Sur Internet devenu le média des média, il faut inventer des axes de développement qui permettent à la fois de créer de la valeur ajoutée et préserver la liberté d'expression.

 

En Juillet 1998, France Télécom lança son moteur de recherche Voila.fr. C’est seulement en septembre 1998 que Google Inc fut créé. Aujourd’hui, Voila.fr, après avoir été entre 2016 et 2020 un guide de sorties, est devenu une plate-forme pour l'événementiel digital et Orange a abandonné son moteur développé en interne et propose une barre de recherche Google. Pourtant, la situation de monopole mondial (Chine exceptée) pour Google ne doit pas être indépassable !

Pour que certaines histoires existent, il faut les rêver, les vivre et les écrire.

A tous ceux qui ont participé au développement de Voila, et à ceux qui liront son histoire.

Débat intéressant sur France Culture à Sciences Po.
Mon intervention en début d'enregistrement du bonus, intervention du public :

 

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